La première lettre de Pierre est une exhortation adressée de Rome (Babylone) à des fidèles disséminés dans les provinces romaines d’Asie Mineure (une partie de la Turquie actuelle). Il est difficile d’en fixer la date avec précision. Ce qui est certain, c’est que les chrétiens se trouvent dans le temps de l’espérance vivante. Ils doivent trouver leur place dans la société au milieu de laquelle ils vivent, laquelle les considère avec méfiance et même avec hostilité.
Quelle est l’affirmation essentielle de cette épître autour de laquelle tout prend son sens? Il semble que ce soit la place du peuple de Dieu, ce peuple que les chrétiens constituent à la suite du Christ. Cela apparaît du fait que le mot « Église » n’est pas utilisé dans cette lettre. Si les lettres de Paul saluaient l’Église qui est en telle ville, Pierre s’adresse aux « élus résidents de la diaspora » dans telle région (1 P 1:1). Au lieu de s’adresser à un peuple rassemblé, il s’adresse à un peuple dispersé. La pensée de l’épître s’organise autour des trois termes de peuple de Dieu, de diaspora et d’élection.
Pour saisir ce qu’entend la première lettre de Pierre sur le « peuple de Dieu », il est utile de commenter attentivement le passage 2:4-9. D’où vient la di- gnité des chrétiens? D’une seule réalité développée dans ces versets : ils sont la maison de Dieu et le peuple de Dieu. Ce passage veut relancer le tonus des chrétiens. Pour cela, il est nécessaire de revenir à ce qui fonde l’identité spirituelle. Ainsi, ils peuvent assumer leur mission dans le monde.
Deux expressions sont à relever : « vous êtes édifiés en maison spirituelle » (2:5), c’est la dimension cultuelle de l’existence chrétienne qui est soulignée. Cette construction est rendue possible parce que le Christ est la pierre vivante choisie par Dieu. Dans cette maison, un culte est rendu à Dieu. Pour ce culte, il faut un sacerdoce. Mais celui-ci n’est pas à chercher loin ; c’est la communauté chrétienne toute entière qui est sacerdotale. Qu’est–ce qu’elle offre ? Non pas des actes extérieurs, mais un culte spirituel, c’est–à– dire l’existence toute entière consacrée à Dieu.
Avant d’en venir à l’autre expression viennent des citations explicites de l’Écriture : elles présentent le Christ comme la pierre angulaire. Cette pierre, Dieu la pose maintenant, c’est le Christ mort et ressuscité. L’accueillir, c’est recevoir de Dieu l’honneur qu’Il donne à son fils, la pierre choisie. La refu- ser, c’est courir à sa ruine.
Suit alors une autre expression, « vous êtes le peuple de Dieu » (2:10). Plusieurs termes se succèdent, chacun avec son arrière-fond biblique. Tous ces termes veulent manifester le don que Dieu fait à ceux qui croient. La sainteté du peuple est réaffirmée, car il est celui que Dieu a choisi et qu’Il s’est acquis par son fils. Dans quel but? Pour annoncer les hauts faits de Dieu. Il n’est pas possible de garder pour soi les merveilles de grâces que Dieu a don- nées. Cela se résume dans le passage des ténèbres à la lumière. Le peuple qui annonce ces merveilles en a fait lui-même l’expérience. Pierre trans- pose à la communauté chrétienne des titres et des notions que l’Ancien Testament appliquait au peuple d’Israël. L’infidélité d’Israël avait fait que celui–ci n’était plus le peuple de Dieu (« pas mon peuple » disait le prophète Osée [1:9]).
Ce passage comprend de nombreux emprunts à l’Ancien Testament, ce qui peut amener de la difficulté à en saisir la richesse. Il est bon de s’attarder à ce texte car il éclaire notre identité chrétienne au milieu du monde, non pas pour vivre replié sur soi mais tourné vers les autres en vue d’annoncer une foi dont on vit et dont on est un témoin fidèle.
De même, dans la grande bénédiction inaugurale (1:3-12), la communauté chrétienne est présentée comme l’héritière du peuple d’Israël. Ce peuple nouveau n’a plus de base nationale ni ethnique. Il est une grande fraternité à travers le monde (cf. 5:9). Sans doute y a-t-il un rapport à chercher entre la communauté d’Israël dans le désert et la situation des chrétiens selon l’épître de Pierre : tous deux sont sans territoire propre et dans l’attente de la terre promise, celle-ci, pour les fidèles chrétiens, n’est pas dans ce monde, elle est préparée dans les cieux et elle est donnée et non pas conquise.
Ce peuple nouveau est une dispersion. L’épître n’envisage pas de rassemblement géographique ni un centre historique pour ce peuple ; il n’existe que dispersé. Son unité se concrétise dans la foi au Christ. Il se distingue des nations païennes au milieu desquelles il vit. Des différences se manifestent dans le fait d’être devenus croyants (1:23 ; 2:7 ; 4:17) mais également dans le comportement moral et social. Ce n’est pas par hasard que le mot « chrétien » est utilisé en 4:16. Mais les chrétiens ne sont pas un groupe en marge de la société. Ils acceptent de bon cœur le cadre social de l’époque, mais ils n’en sont pas les esclaves. Ils y vivent en étant soumis (2:13 ; 2:18 ; 3:1) mais avec la liberté des serviteurs de Dieu (2:16). Ils ne refusent donc pas globalement les institutions, et même s’ils mettent en question certains aspects de la religion païenne ou des mœurs, c’est sans rompre la solidarité sociale.
Pourquoi sont-ils comme des résidents et des étrangers dans la société où ils se trouvent? Pour l’auteur de l’épître, tous les chrétiens sont en dias– pora. Sans doute faut-il éviter d’avoir une interprétation sociologique de ces termes qui viennent du livre de la Genèse (23:4) où Abraham se définit ainsi (dans la Septante). S’ils sont résidents, c’est d’abord parce qu’ils sont des élus, choisis par Dieu et donc mis à part. C’est vrai de tous les chrétiens, y compris de la communauté de Rome (5:13).
Dieu appelle les fidèles au sein même des nations païennes. Ce peuple naît comme une diaspora, ce qui ouvre le champ à l’annonce de l’Évangile. Au sein de sa situation, ce peuple nouveau est appelé à vivre sa mission cultuelle : offrir des sacrifices spirituels agréables à Dieu par Jésus-Christ (2:5). Cela est mis en œuvre dans la proclamation des merveilles de Dieu et aussi dans leur comportement quotidien qui sera un témoignage vivant (2:12).
Une telle perspective est actuelle et elle nous permet de regarder la situation présente, non pas comme une catastrophe, mais comme un appel à devenir témoins du Christ. S’appuyer sur l’un des passages de cette lettre pour l’une des homélies peut être appréciable.
+ Pierre-Marie Carré
Archevêque émérite de Montpellier