L’accueil du handicap, une force ? Voilà qui peut surprendre de prime abord, sauf à bien connaître la lettre aux Corinthiens (1:27) : « Ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi. »
Cette phrase est l’un des leitmotivs de la Pastorale des personnes en situation de handicap (PPH), service diocésain de référence concernant le handicap dans l’Église.
Pour le diocèse de Nantes, l’équipe de la PPH se constitue d’une responsable diocésaine salariée, ainsi que de nombreux bénévoles (laïcs, diacres, religieuses, personnes en situation de handicap, de tous âges). Elle a reçu de l’évêque pour mission de veiller à ce que ces personnes aient toute leur place dans notre Église diocésaine, à stimuler les chrétiens et la société pour un accueil sans restriction de celles-ci. Ainsi, un accueil sans restriction peut se définir par une attention aux particularités qu’engendre le handicap, qu’il soit mental, physique, sensoriel (malentendants, malvoyants) ou psychique. Concrètement, pour Nantes, le travail au sein de cette Pastorale s’organise en 6 pôles, comme illustré ci-contre.
Cet article a pour objectif de donner les enjeux des PPH dans nos diocèses, aussi nous placerons un focus particulier sur le pôle « Paroisses et Église », afin de nous poser la question de la place des personnes en situation de handicap dans nos paroisses, dans nos équipes de travail, de mission, dans nos instances de réflexion et de décision, et plus globalement dans notre Église. Sur ce sujet, de nombreuses interrogations jaillissent : les personnes en situation de handicap doivent-elles s’adapter, ou bien la paroisse doit s’adapter pour que leur situation au sein de la paroisse soit moins handicapante, et que la personne puisse être davantage reconnue avec ses dons et ses charismes propres ?
Quelle place ont-elles dans la liturgie ? Avant, pendant, et après les offices ? Pour la vie de la paroisse, la quête ou encore les lectures ? Une place est-elle donnée à leur témoignage ?
Pensons-nous à sortir pour aller chercher dehors ces personnes invisibles, hors de nos radars ? A-t-on déjà observé l’attrait des personnes en situa- tion de handicap lorsqu’une initiative a été mise en place au sein de notre paroisse ? Comment facilite-t-on leur participation à tel ou tel évènement, même sans demande préalable de leur part ?
À toutes ces questions, voici 4 approches vécues, révélant plusieurs niveaux d’inclusion en paroisse :
- « Nous sommes peu confrontés aux enjeux de l’accueil de personnes en situation de handicap ». Cette affirmation nous interroge sur le fait que certains handicaps sont invisibles (troubles autistiques, troubles sensoriels tels que personne malentendante ou malvoyante, troubles psychiatriques, troubles « dys » tels que dyspraxie, dysphasie, dyslexie…), ou bien que les personnes ne viennent pas dans nos communautés dans la mesure où elles ne sont pas sûres d’y trouver leur place…
« Tant que les personnes handicapées ne manquent pas à la communauté chrétienne, c’est que celle-ci n’est pas vraiment une communauté chrétienne 1. » - « Les personnes en situation de handicap sont accueillies à bras ouverts dans notre paroisse ! » L’accueil est primordial, mais cela suffit-il ? Qu’en est- il de l’écoute des besoins d’adaptation que leur situation nécessite ? D’une co-construction de la place qui leur est donnée ?
- « Nous veillons à l’ intégration des personnes avec un handicap » : elles ont leur place dans l’église, grâce à différentes adaptations mises en place tels qu’une rampe d’accès, la boucle magnétique pour les malenten- dants, des feuillets de messe en braille, etc. Mais… quelle place leur est donnée pour être actrices au sein de la communauté, en tant que baptisées ?
- « L’ inclusion dans la communauté paroissiale est une de nos priorités » : en fonction de leur désir et de leurs possibilités, les personnes porteuses de tout type de handicap sont actrices au sein de l’EAP, du lectorat, des ministres de la Communion, de la préparation aux sacrements, des catéchistes, etc.
Le schéma ci-dessous nous permet de visualiser le type de place que nous pouvons donner aux personnes en situation de handicap.
Une nouvelle vignette pourrait être ajoutée à ce schéma : celle de l’objectif à atteindre. Ce dernier est le « système inclusif », dans lequel, au-delà de la simple inclusion dans un système classique, c’est le système qui est réfléchi d’emblée pour accueillir tout un chacun.
Le rapport de synthèse, « une église synodale en mission », issu de la Session générale des évêques d’octobre 2023 2, indique : « En encourageant la coresponsabilité au sein de la mission de tous les baptisés, nous reconnaissons les capacités apostoliques des personnes avec un handicap. Nous désirons valoriser leur contribution à l’évangélisation venant de l’immense richesse humaine qu’elles apportent. Nous reconnaissons leurs expériences de souffrance, de mise à l’écart, de discrimination, parfois subies au sein même de la communauté chrétienne. »
Nous devons nous interroger : qu’est-ce que l’inclusion de la personne en situation de handicap apporte à la communauté ? Pourquoi cette particularité peut-elle transformer la personne elle-même et l’évangélisation de nos paroisses ?
Talitha Cooreman-Guittin, docteure en théologie catholique (université de Strasbourg), parle de pastorale capacitante, qui transforme les relations. Elle appelle cette dimension positive de la vulnérabilité, celle qui met la personne en capacité d’aimer, la vulnérabilité « capacitante 3 ».
La vulnérabilité apparaît non seulement comme lieu de blessure et de grande fragilité, appelant à l’engagement et à la solidarité de tous, mais aussi comme lieu avec une valeur en soi, un lieu précieux depuis lequel Dieu s’adresse à chacun. Sans vouloir enjoliver la vie quand elle est marquée par la grande vulnérabilité, notamment celle des personnes en situation de handicap avec une déficience cognitive importante, dans ces situations complexes aussi, quelque chose du mystère de Dieu se révèle, qui n’est révélé nulle part ailleurs.
Un chemin de vie se dessine pour les personnes très vulnérables et leurs proches quand elles arrivent à assumer leurs vulnérabilités respectives, et à s’ouvrir aux autres et au tout Autre. Ce chemin de vie devient « capacitant » lorsque d’autres, qui ne se reconnaissent peut-être pas (encore) comme vul-
- XVIe assemblée générale ordinaire du synode des évêques, Première session (4-29 octobre 2023), Une église synodale en mission, no 8 L’Église est mission, k).
- Talitha Cooreman-Guittin, Catéchèse et théologies du handicap. Ouvrir des chemins d’amitié au-delà des barrières de la déficience, PU Louvain, 2020.
nérables, rejoignent les personnes fragiles et fragilisées, et découvrent à quel point tous et toutes sont nécessaires pour construire le Royaume de Dieu. La vulnérabilité nous permet de recevoir et de donner, elle a un pouvoir actif. « Seul un moi vulnérable peut aimer 4 » (Emmanuel Levinas).
« Chaque moment passé auprès d’une amie ou d’un ami malade ou handicapé est la porte étroite par laquelle le Messie peut entrer 5 » (Walter Benjamin). Passer du temps avec des personnes en situation de handicap, vivre ces rencontres en vérité nous renvoient à nos propres faiblesses. Cela nous ouvre alors à un chemin d’humilité, et permet ainsi de laisser le Seigneur briller à travers nos failles, d’éclairer nos faiblesses de sa Miséricorde.
Placer la fragilité au cœur de nos paroisses, de nos équipes d’animation paroissiale, de nos équipes de réflexion, de nos instances décisionnaires, ou autres communautés nécessite de s’adapter, au cas par cas concernant les personnes avec un handicap, mais permet un rapprochement de chacun au Seigneur par la place donnée à la vulnérabilité, en ouvrant la porte à son action dans nos cœurs et dans nos esprits.
« Dieu s’est fait homme par amour; il a voulu partager jusqu’au bout notre condition, en choisissant d’être, dans un certain sens, handicapé afin de nous enrichir par sa pauvreté 6. »
Mais alors, concrètement, comment faire Église ensemble ?
Le Directoire pour la Catéchèse nous oriente notamment dans les articles suivants :
« La question du handicap est d’une grande importance pour l’ évangélisation et la formation chrétienne. Les communautés sont appelées non seulement à prendre soin des plus fragiles, mais à reconnaître la présence de Jésus qui se manifeste en eux de manière particulière. Cela « requiert une double attention : la conscience de l’éducabilité à la foi de la personne porteuse de handicap, que celui-ci soit grave ou même très grave ; et la volonté de considérer la personne comme un sujet actif dans la communauté dans laquelle elle vit. »
— Directoire pour la catéchèse, édition 2020, no 269
« Les personnes handicapées sont appelées à la plénitude de la vie sacramentelle, même en présence de troubles graves. […] personne ne peut donc refuser les sacrements aux personnes handicapées. […] C’est pourquoi l’inclusion pastorale et l’implication dans l’action liturgique, en particulier le dimanche, sont essentielles. […]. En effet, elles ne sont pas seulement les destinataires de la catéchèse, mais les protagonistes de l’évangélisation. Il est souhaitable qu’elles puissent elles-mêmes être catéchistes et qu’avec leur témoignage, elles puissent transmettre la foi de manière plus efficace. »
— Directoire pour la catéchèse, édition 2020, no 272
Tout comme dans la société, il est heureux d’observer les initiatives d’inclu- sion qui fleurissent au sein des paroisses, EAP, communautés chrétiennes, groupes de catéchisme, aumôneries, etc.
Quelle joie de voir des jeunes en situation de handicap vivre les JMJ, en inclusion totale ou en semi-inclusion avec les jeunes du diocèse, en fonction de leurs besoins et capacités ! Quelle chance encore de participer aux messes animées par ces personnes si souvent mises à l’écart ou seulement « bien accueillies » dans nos églises ! Combien de fois n’avons-nous pas tiré profit d’une homélie simplifiée à destination d’enfants ou de personnes avec handicap mental, qui nous a permis de faire lumière sur telle ou telle révé- lation du Christ ? Quel témoignage encore de voir cet adulte trisomique se recueillir et rester ébahi devant l’élévation du Christ hostie au moment de la Consécration, puis au moment de donner la communion à ses frères !
L’ensemble de ces initiatives et les retours d’expérience démontre l’impérieuse nécessité de faire Église avec toute vulnérabilité au cœur, et qu’aucune personne en situation de handicap ne soit privée de son appel à être actrice de l’Église.
Le projet des Veilleurs
C’est en ce sens que dans le diocèse de Nantes, le projet de veil- leurs en paroisse est ainsi né en avril 2023, suite à la réflexion d’une équipe de la PPH et PCS (pédagogie catéchétique spécialisée) et à la validation de notre évêque Mgr Percerou. Nous fêtons sa première année de mise en œuvre, avec l’engagement de près de 50 veilleurs sur 25 des 70 paroisses présentes sur notre diocèse. Des laïcs, prêtres et religieux consacrés qui sont touchées par le handicap personnellement, familialement, professionnellement, ou tout simplement sensibles à la cause, et qui ont rejoint ce nouveau réseau, aux initiatives croissantes.
Né du constat que, dans certaines paroisses, il existe de belles initiatives d’accueil et d’accompagnement au service des personnes en situation de handicap et de leur famille, le projet de veilleurs a pour objectif de déployer ce dynamisme.
La PPH et la PCS s’engagent à nommer, accompagner et former les veilleurs, qui seront appelés pour un mandat de 3 ans. Les veilleurs s’engagent à participer à 3 journées de formations par an, qui sont aussi l’occasion de rencontres, de relecture et de partage d’expérience entre tous les veilleurs du diocèse. Le veilleur est accompagné individuellement par la personne référente à la PPH, en lien avec son curé ou son équipe paroissiale (pôle santé, comité solidarité…) en fonction de l’organisation paroissiale.
La mission du veilleur est d’être attentif à toute personne en situation de handicap et le cas échéant, à sa famille, afin de leur proposer de réfléchir ensemble à des adaptations possibles pour améliorer leur inclusion à la communauté paroissiale.
Par exemple, il peut s’agir d’assurer un accueil à la messe dominicale, d’ai- der à l’accès à la catéchèse, à la préparation aux sacrements, à la participation à la préparation de la messe et aux différentes équipes paroissiales, d’orienter vers des associations et mouvements dans lesquels ils pourraient s’intégrer, etc. Cela peut aboutir parfois à la création de réseaux de solidarité autour des personnes et familles touchées par le handicap (partage de repas, aide au quotidien pour soulager les proches aidants…). Toutes ces actions doivent être menées avec discrétion, dans le respect de la volonté des personnes en situation de handicap et de leurs proches.
Donner mission à deux veilleurs par paroisse permet d’agir localement, afin de n’oublier personne et de permettre de tisser un maillage le plus fin possible pour qu’aucun ne reste isolé, et que ce ne soit pas la personne en situation de handicap qui doive s’adapter à l’Église, mais que ce soit la communauté qui s’adapte à ses besoins.
L’objectif est de leur donner une place dans l’assemblée paroissiale, pour eux mais aussi pour les paroissiens eux-mêmes. Comme il est écrit dans la consultation synodale spéciale de personnes en situation de handicap :
« Dans une communauté inclusive, chacun suit son propre chemin de conversion. Reconnaissant ses propres limites et sa fragilité, on est amené à marcher aux côtés des autres sans se sentir supérieur, inférieur, ou différent, mais frères et compagnons de voyage. […] Les personnes en situation de handicap sont aussi appelées à participer à la vie de l’Église. […] Le contact avec la fragilité renforce la foi de chacun, car c’est précisément dans la faiblesse que Dieu montre son amour et sa miséricorde. »
Ce projet de veilleurs est un outil pour soutenir et accompagner les communautés chrétiennes dans l’accueil et l’inclusion des personnes en situation de handicap, au cas par cas, en fonction de chaque type de handicap, de chaque personne et de ses besoins, et de tendre au mieux vers le souhait exprimé par notre pape François en décembre 2022 : « Je souhaite à toutes les communautés chrétiennes d’être des lieux où ‘‘appartenance’’ et ‘‘ inclusion’’ ne restent pas des mots à prononcer à certaines occasions, mais deviennent un objectif de l’action pastorale ordinaire. »
Béatrice Luisetto
Responsable diocésaine de la Pastorale des personnes en situation de handicap,
Diocèse de Nantes, province de Rennes
-
Louis-Michel Renier et Jean Rossignol, Les personnes handicap.es : des citoyens ! Une leçon d’humanité, L’Harmattan, 2004.
-
XVIe assemblée générale ordinaire du synode des évêques, Première session (4-29 octobre 2023), Une église synodale en mission, no 8 L’Église est mission, k)
-
Talitha Cooreman-Guittin, Cat.ch.se et théologies du handicap. Ouvrir des chemins d’amitié au-delà des barrières de la déficience, PU Louvain, 2020.
-
Emmanuel Levinas, De Dieu qui vient . l’idée, Paris, 1982, p. 145.
-
Walter Benjamin, OEuvres III, éd. Folio-Gallimard, 2000.
-
Jean-Paul II, Discours à l’occasion du Jubilé des personnes handicapées (3 décembre 2000), no 4.