« Nous avons besoin d’une formation liturgique sérieuse et vitale » pape François, Lettre Desiderio Desideravi, n. 31
La lettre Desiderio Desideravi du pape François publiée à Rome le 29 juin 2022 en la fête des apôtres Pierre et Paul constitue un acte majeur de ce pontificat sur le plan de la liturgie 1. Certes elle semble porter sur une question spécifique, à savoir « la formation liturgique du Peuple de Dieu » mais en réalité, elle touche la question liturgique aujourd’hui, telle qu’elle se pose un peu plus de 50 ans après la réforme d’ensemble demandée par la Constitution Sacrosanctum Concilium du concile Vatican II (4 décembre 1963). Sans vouloir proposer un commentaire détaillé du texte, le but ici est d’introduire à sa lecture en manifestant quelques enjeux de ce document du magistère.
Il est utile aujourd’hui de rappeler que la liturgie a été longtemps réglée au niveau des Églises locales. Si le fond de la liturgie en Occident a connu une réelle unification durant la période carolingienne (VIIIe-IXe s.) – et ceci non à la demande du siège apostolique mais en raison d’une volonté d’uni- té politique de l’empire carolingien – les diocèses de France ont conservé leurs livres liturgiques propres jusqu’au XIXe s. Il faudra attendre 1866 par exemple, pour que le diocèse de Lyon adopte pour l’essentiel le Missel romain de 1570, tout en gardant cependant certaines particularités. Les différences entre les usages et traditions locales étaient réelles, même s’il ne faut pas les majorer.
C’est donc à partir de l’époque moderne et plus encore à partir du XIXe siècle grâce à la possibilité de communiquer rapidement, que la liturgie va connaître un régime où elle est réglée quasi uniquement par le siège romain.
De ce point de vue, les décisions prises à la suite du concile Vatican II, sont encore dans cette mouvance centralisatrice, même si, pour rééquilibrer l’approche, le concile ouvrait de larges possibilités d’adaptation aux situations locales. Jusqu’à nos jours toutefois, les institutions liturgiques de référence sont les livres édités à Rome, et que l’on désigne par la notion d’« édition typique » (editio typica). Cependant la possibilité d’utiliser les langues vernaculaires a été décisive pour retrouver un régime moins centralisé en ce qui concerne le cadre de la vie liturgique. Les conférences épiscopales ont sur ce point une réelle responsabilité que la lettre apostolique Magnum principium du 3 septembre 2017, un document précisant les normes en matière de traductions liturgiques, est venue renforcer.
Depuis la réforme demandée par le concile Vatican II, on assiste cependant à une sorte de flottement entre deux tendances. La première valorise le rôle du siège romain au service de l’unité de l’Église catholique : elle tend à insister sur le cadre normatif unificateur tout en limitant les initiatives locales. C’est dans ce sens par exemple qu’on peut situer certains textes disciplinaires comme l’Instruction Redemptionis sacramentum (23 avril 2004) « sur certaines choses à observer et à éviter concernant la très sainte Eucharistie » et également l’Instruction Liturgiam authenticam (28 mars 2001) réglant les principes et la procédure concernant les traductions liturgiques 2. L’autre tendance au contraire milite pour une décentralisation en ce domaine, décentralisation jugée nécessaire pour rejoindre la diversité des situations socio-culturelles. C’est le cas en particulier de l’instruction Varietates Legitimae sur l’inculturation de la liturgie (29 mars 1994) qui visait l’ins- cription concrète d’un vœu explicite du concile Vatican II, exprimé dans le décret conciliaire Ad gentes sur la mission de l’Église (AG 19) mais égale- ment comme un véritable principe dans la Constitution sur la liturgie :
Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, Liturgiam authenticam, Cinquième instruction pour la correcte application de la Constitution sur la Sainte Liturgie du concile Vatican II (Sacrosanctum Concilium, art. 36), 28 mars 2001 ; en privilégiant une stricte fidélité à l’édition latine du Missel romain, la publication en 2021 de la nouvelle traduction francophone du Missel romain est tributaire de la principes de Liturgiam authenticam, alors que la traduction de 1970 avait été établie sur d’autres bases.
L’Église, dans les domaines qui ne touchent pas la foi ou le bien de toute la com- munauté, ne désire pas, même dans la liturgie, imposer la forme rigide d’un libellé unique: bien au contraire, elle cultive les qualités et les dons des divers peuples et elle les développe ; tout ce qui, dans leurs mœurs, n’est pas indissolublement soli- daire de superstitions et d’erreurs, elle l’apprécie avec bienveillance et, si elle peut, elle en assure la parfaite conservation ; qui plus est, elle l’admet parfois dans la liturgie elle-même, pourvu que cela s’ harmonise avec les principes d’un véritable et authentique esprit liturgique.
— SC 37
C’est cette ligne qu’on peut situer les multiples recherches effectuées en Asie ou en Afrique, mais aussi, d’une autre manière dans les pays européens ou américains, en vue d’adapter la liturgie, processus que l’on désigne à partir de la notion d’« inculturation ».
Sous la pression des innovations technologiques (numérique et intelligence artificielle notamment) mais aussi celle des graves menaces provoquées par le dérèglement climatique ainsi que par les affrontements entre les puissances de ce monde, on assiste à des évolutions accélérées du monde contemporain, au point que certains parlent de changement de civilisation. Dans ce contexte, Desiderio desideravi déplace le débat entre centralisation et décentralisation pour le situer d’une part sur la formation et d’autre part sur une double question à laquelle le pape attache beaucoup d’importance.
D’un côté, le pape s’interroge en effet sur la capacité de l’homme moderne à entrer dans une démarche symbolique et donc dans l’univers relationnel qui fonde la liturgie chrétienne. La publication le 17 juillet 2024 d’une lettre « sur le rôle de la littérature dans la formation », constitue à ce titre un geste très fort par lequel François exprime son souci au sujet de la « capacité symbolique » de l’homme contemporain 3. La question est donc de savoir si, et si oui comment, la vie liturgique peut aujourd’hui offrir un chemin de rencontre avec Dieu.
De l’autre côté, le pape dénonce sans relâche deux tendances profondes qu’il qualifie de « venin de la mondanité spirituelle » : le « néo-pélagianisme » qui tend à mettre l’accent sur l’œuvre de l’homme au risque de transformer la liturgie en performance rituelle et le « néo-gnosticisme » qui tend à réduire la liturgie à un savoir destiné à une élite. Sur ce second point spécialement, le pape apporte à l’Église les réflexes du monde latino-américain qui prend au sérieux les ressources de la piété populaire. Il n’a pas hésité à accorder aux manifestations de cette piété populaire une grande valeur pour la foi comme cela s’inscrit dans le rapport final de la conférence d’Aparecida de 2007, un document dont on sait que le rédacteur principal était le cardinal Bergoglio, alors archevêque de Buenos Aires :
Dans la piété populaire, se trouve et s’exprime un intense sentiment de la transcendance, une capacité spontanée de s’appuyer sur Dieu et une véritable expérience de l’amour théologal. C’est aussi une expression de sagesse surnaturelle, puisque la sagesse de l’amour ne dépend pas directement de la connaissance intellectuelle mais bien de l’action interne de la grâce. C’est pour cela que nous l’appelons spiritualité populaire. C'est-à-dire, une spiritualité chrétienne qui, étant une rencontre personnelle avec le Seigneur, intègre beaucoup le charnel, le sensible, le symbolique et les nécessités très concrètes des personnes. C’est une spiritualité incarnée dans la culture des gens simples qui, pour autant, n’en est pas moins spirituelle sinon qu’elle l’est d’une manière différente 4.
Cette mise en perspective dicte la démarche de cet article. Dans un premier temps, pour percevoir vraiment la portée de Desiderio desideravi, il est nécessaire de situer la lettre dans l’ensemble des interventions du magistère romain sur la liturgie depuis le début du XXe siècle. Dans un second temps, il s’agira de considérer le point focal du texte pontifical à savoir un appel pressant à une formation « sérieuse et vitale ». Car il faut d’emblée préciser qu’aux yeux du pape, la formation liturgique qu’il entend promouvoir, a pour but premier non de faire des sachants voire des savants en liturgie, mais de prêter attention à ce que la liturgie donne à vivre. Il s’agit de former l’être intérieur par et dans la célébration, ce qui accorde le primat à l’expérience.
La liturgie : une préoccupation constante du magistère de l’Église
Il faut replacer la lettre Desiderio DesIDeRavI dans le sillage d’une série de documents du magistère qui sont liées en profondeur à la conscience d’une nécessaire réforme des institutions liturgiques héritées d’une lente évolution au cours du temps.
À partir du XVIIe s., mais surtout au XIXe et au début du XXe siècles, la science historique va investir le champ de la liturgie. Ces travaux ont alors largement montré que les usages reçus avaient une histoire, et que les institutions avaient beaucoup, et parfois même radicalement, évolué au cours du temps. Ce qui était une évidence à telle époque, par exemple la communion des fidèles dans la célébration à l’époque patristique, était devenu une exception à certains moments. La langue latine qui était devenue dominante dans la liturgie depuis le IVe siècle, notamment de sorte que le peuple comprenne les Écritures proclamées, a progressivement été conçue comme une langue sacrée qui préservait les Écritures d’interprétations erronées. On pourrait multiplier les exemples (aussi bien sur les vêtements liturgiques que sur le rôle des différents ministères, sur la disposition des églises aussi bien que sur le chant ecclésiastique) manifestant des évolutions tant sur les formes liturgiques que sur leurs compréhensions. Sur ces bases, on ne peut plus parler, du point de vue historique, de continuité formelle entre la cène de Jésus, celle de saint Augustin et la messe aujourd’hui (« la messe de toujours »), que ce soit celle de saint Paul VI ou celle de saint Pie V.
Cette conscience de l’histoire de la liturgie, qui fait souvent défaut aujourd’hui, a invité fortement à reconsidérer la pertinence des héritages reçus pour une vie liturgique féconde. Déjà au début du XXe siècle, Pie X exprimait cette nécessité dans un motu proprio publié en 1913, en n’hésitant pas à parler de la nécessité de « nettoyer » « la crasse » qui s’était déposée sur l’édifice liturgique hérité du passé 5. Et c’est dans cette même ligne, avec la volonté de retrouver des célébrations pascales conformes à la tradition ancienne, qu’entre 1951 et 1956, le pape Pie XII avait quant à lui, décidé une grande réforme de la Semaine sainte. Il s’agissait alors d’un pas décisif pour penser un renouveau liturgique qui s’appuyait sur les études historiques mettant en lumière les institutions liturgiques de l’Église du premier millénaire 6.
Mais bien sûr, la dynamique du concile Vatican II – et en particulier la volonté d’aggiornamento exprimée maintes fois par Jean XXIII – allait emporter un grand projet de réforme qui sera réalisé dans les années après le concile. Avec une très large connaissance des sources qui bénéficiait d’un siècle de recherches menées par des érudits, l’œuvre de réforme va suivre un double principe : un « ressourcement en tradition » par un retour à des pra- tiques anciennes oubliées (prière des fidèles par exemple) et ouverture à des innovations en fonction des besoins de notre temps (par exemple, usage des langues vernaculaires). De ce point de vue, bien des « nouveautés » du Missel de 1970, se sont inspirées et ont été justifiées par des usages plus an- ciens et qui étaient souvent inspirés des pratiques de l’Antiquité chrétienne. Ce projet de réforme va bénéficier de l’attention constante et vigilante, mais aussi de l’appui et même d’un engagement direct de Paul VI. Face à des critiques qui s’étaient déjà manifestées depuis le début de 1969, dans une catéchèse du 19 novembre 1969, prononcée peu avant la mise en œuvre du nouveau Missel romain, il pouvait affirmer en effet :
[…] la réforme qui va entrer en vigueur correspond à un mandat autorisé de l’Église. C'est un acte d'obéissance ; c’est un acte de cohérence de l’Église avec elle- même; c’est un pas en avant de sa tradition authentique ; c’est une preuve de fidélité et de vitalité à laquelle nous devons tous adhérer avec empressement. Elle n’est pas arbitraire. Elle n’est pas une expérience caduque et facultative. Elle n’est pas l’improvisation d’un amateur. C’est une loi pensée par les spécialistes autorisés de la sainte Liturgie, longtemps discutée et étudiée ; nous devons l’accueillir avec un intérêt joyeux et l’appliquer avec une observance ponctuelle et unanime. […] L’ harmonie de prière dans l’Église est un des signes et une des forces de son unité et de sa catholicité. Le changement qui va se produire ne doit ni briser ni déranger cette harmonie; il doit la confirmer et la faire résonner dans un esprit nouveau, un souffle de jeunesse 7.
- Sur ce grand chantier se sont illustrés un grand nombre de spécialistes notamment J.-A. Jungmann, sj., B. Botte, osb, P.-M. Gy, op, Mgr A. G. Martimort.
- Dans sa version francophone, ce texte essentiel de Paul VI sur la réforme liturgique ne figure pas sur le site du Vatican; il est accessible en ligne sur le site
Dans une lettre apostolique datée du 4 décembre 1988, et publiée à l’occasion du 25e anniversaire de la Constitution conciliaire, le pape Jean-Paul II a, de son côté, salué cette œuvre comme le fruit d’un « travail considérable et désintéressé d’un grand nombre d’experts et de pasteurs de toutes les parties du monde » et surtout comme une opération « strictement traditionnelle 8 ».
Or en dépit de ces affirmations, le refus de la révision générale demandée par Vatican II, et pour l’essentiel, réalisée sous l’autorité du pape Paul VI, demeure, on le sait, très actuel. Le débat est sans cesse relancé sans qu’on n’en voie une issue possible. Il n’est pas dans le propos ici de reprendre cette histoire fort complexe qui va de la publication au printemps 1969 (avant même celle du Missel de 1970), du Bref examen critique du nouvel Ordo Missae 9, jusqu’au motu proprio Traditionis custodes du 16 juillet 2021.
Par ce texte, le pape François a mis un terme au régime instauré depuis 2007 à travers le motu proprio Summorum pontificum (7 juillet 2007). Benoît XVI avait en effet voulu résoudre l’opposition à la réforme par l’instauration d’un double régime en matière de liturgie : la « forme ordinaire » selon les livres liturgiques révisés, et la « forme extraordinaire » selon les livres liturgiques antérieurs à la réforme. Les approximations de langage en ce domaine de- meurent fréquentes au risque de multiplier des débats mal posés car on ne parle pas correctement.
Parler de « rite tridentin», de « rite traditionnel » ou parfois de « rite extraordinaire» pour désigner les célébrations selon les livres liturgiques antérieurs à la réforme demandée par Vatican II est contraire à ce qu’a exprimé explicitement Benoît XVI dans la lettre adressée aux évêques accompagnant le motu proprio Summorum Pontificum. Car tout en autorisant largement l’usage des livres liturgiques antérieurs à la réforme, il précisait : « Il n’est pas convenable de parler de ces deux versions du Missel romain comme s’il s’agissait de ‘‘ deux Rites’’. Il s’agit plutôt d’un double usage de l’unique et même Rite. » Plus encore, c’est à la forme « ordinaire » que revenait la première place : « le Missel, publié par Paul VI et réédité ensuite à deux reprises par Jean-Paul II, est et demeure évidemment la forme normale […] de la liturgie eucharistique », ce qui interdit alors sa possible dépréciation : « Évidemment, pour vivre la pleine communion, les prêtres des communautés qui adhèrent à l’usage ancien ne peuvent pas non plus, par principe, exclure la célébration selon les nouveaux livres. L’exclusion totale du nouveau rite ne serait pas cohérente avec la reconnaissance de sa valeur et de sa sainteté. »
Le pape François après avoir consulté les évêques, consultation que Benoît XVI lui-même avait prévue, a mis fin à ce régime en affirmant dans l’article 1er de Traditionis custodes : « Les livres liturgiques promulgués par les saints Pontifes Paul VI et Jean-Paul II, conformément aux décrets du concile Vatican II, sont la seule expression de la lex orandi du Rite romain. » En France et aux USA notamment, cette décision a suscité de fortes réactions dans les milieux qui avaient reçu la décision de Benoît XVI comme une reconnaissance de la légitimité de leur option. On peut dire que le débat reste vif au risque de la division. Et en tant que gardien de l’unité de l’Église, le pape explique à nouveau les raisons profondes de sa décision :
Par cette lettre, je voudrais simplement inviter toute l’Église à redécouvrir, à sauvegarder et à vivre la vérité et la force de la célébration chrétienne. Je voudrais que la beauté de la célébration chrétienne et ses conséquences nécessaires dans la vie de l’Église ne soient pas défigurées par une compréhension superficielle et réduc- trice de sa valeur ou, pire encore, par son instrumentalisation au service d’une vision idéologique, quelle qu’elle soit. La prière sacerdotale de Jésus à la dernière Cène pour que tous soient un (Jn 17:21), juge toutes nos divisions autour du Pain rompu, sacrement de piété, signe d’unité, lien de charité (n. 16).
En définitive, de la réception complexe de la réforme de Vatican II, son refus ou sa mauvaise interprétation, le pape synthétise en une phrase les conséquences pour la vie de l’Église : « La non-acceptation de la réforme, ainsi qu’une compréhension superficielle de celle-ci, nous détournent de la tâche de trou- ver les réponses à la question que je répète : comment pouvons-nous grandir dans la capacité de vivre pleinement l’action liturgique ? » (n. 31). C’est pour remédier à ces blocages dont les pasteurs comme les fidèles connaissent bien la réalité, que le pape propose deux pistes : prêter vraiment attention à la liturgie et susciter une formation « sérieuse et vitale ». On peut espérer que dans la durée, ces propositions fassent leur chemin pour surmonter la blessure de l’Église au sujet de sa vie liturgique.
Prêter attention à la liturgie
La première des deux pistes consiste plus précisément à chercher « comment continuer à nous laisser surprendre par ce qui se passe dans la célébration sous nos yeux ? » (n. 31). C’est donc une invitation à l’attention. Dans un monde qui ramène sans cesse à la superficie, qui capte continuellement les sens de multiples manières, l’attention à la liturgie (non seulement les textes mais aussi les symboles, les gestes et attitudes, l’espace et les sons) est devenue fragile. Les multiples débats et même les conflits sur les chants ou les gestes sont le symptôme d’une difficulté à entrer vraiment en liturgie, à y entrer en profondeur comme le lieu où se réalise la rencontre avec le mystère d’un Dieu qui vient à l’homme pour le sauver.
Cette requête d’une attention à l’action liturgique comme action totale, a pour fondement l’idée que la liturgie est toujours nouvelle. En elle, la répétition des mots, des textes, des gestes est au service de cette nouveauté. Ceci n’est pas aisé à percevoir dans un monde où la course à la dernière innovation est continuellement relancée. Mais à celui ou celle qui consent à entrer dans cette apparente répétition en liturgie, la profondeur des textes et des actions devient vite une évidence. Ceci est particulièrement vrai pour la prière des psaumes, et donc pour la liturgie des Heures. On répète sans cesse les mêmes mots et pourtant leur nouveauté advient dans la dispo- nibilité à les accueillir comme une parole adressée et comme le signe du grand dialogue entre Dieu et l’humanité. Car c’est l’Esprit de Dieu dont la liturgie est fondamentalement l’expérience qui fait toutes choses nouvelles.
S’émerveiller de la beauté du mystère pascal
Le pape François développe alors cette piste de l’attention à l’action liturgique en invitant à l’émerveillement :
L’ émerveillement est une partie essentielle de l’acte liturgique car c’est l’attitude de ceux qui se savent confrontés à la particularité des gestes symboliques ; c’est l’émerveillement de celui qui fait l’expérience de la puissance du symbole, qui ne consiste pas à se référer à un concept abstrait mais à contenir et à exprimer dans sa concrétude même ce qu’il signifie (n. 26).
Cet émerveillement n’est pas centré sur l’approche esthétique de la liturgie si souvent mise en avant sous la forme d’un désir de « belle liturgie ». La liturgie chrétienne est belle en tant qu’elle renvoie au mystère du Christ, ce Christ crucifié que la liturgie du Vendredi saint célèbre dans un répons inspiré du livre d’Isaïe (Es 53:2) : « Sans beauté, sans éclat, nous l’avons vu; Il n’avait plus aucune apparence : c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé 10. »
Les célébrations des premiers chrétiens, qui associaient la mémoire du Seigneur crucifié et ressuscité au partage du repas comme on le voit dans la Première lettre aux Corinthiens (cf. 1 Co 11:17-30 où Paul critique vivement les déviances) étaient sans doute très éloignées des formes rituelles passées ou actuelles. La beauté de la liturgie ne fait pas forcément bon ménage avec la profusion des moyens mis en œuvre. Ce déploiement de moyens, fréquent dans les grands rassemblements, risque en fait d’aligner les célébrations sur les modes d’une société du spectacle. Dans cette ligne le pape François dénonce les deux excès qui empêchent la beauté en liturgie d’accé- der à la vérité :
La redécouverte continuelle de la beauté de la liturgie n’est pas la poursuite d’un esthétisme rituel qui ne prend plaisir qu’ à soigner la formalité extérieure d’un rite ou se satisfait d’une scrupuleuse observance des rubriques. Il va de soi que cette affirmation ne vise nullement à approuver l’attitude opposée qui confond la simplicité avec une banalité débraillée, l’essentialité avec une superficialité ignorante, ou le caractère concret de l’action rituelle avec un fonctionnalisme pratique exaspérant (n. 22).
Pour le pape, il s’agit donc de s’émerveiller devant la beauté de l’Incarnation du Verbe, et celle du mystère pascal, le mystère de la mort, de la résur- rection et de la glorification du Seigneur Jésus, le mystère qui sauve toute l’humanité :
Si notre émerveillement pour le mystère pascal rendu présent dans le caractère concret des signes sacramentels venait à manquer, nous risquerions vraiment d’ être imperméables à l’océan de grâce qui inonde chaque célébration. Les efforts, certes louables, pour améliorer la qualité de la célébration ne suffisent pas, pas plus que l’appel à une plus grande intériorité : même cette dernière court le risque d’ être réduite à une subjectivité vide si elle n’accueille pas la révélation du mystère chrétien. La rencontre avec Dieu n’est pas le fruit d’une recherche intérieure individuelle, mais un événement donné: nous pouvons rencontrer Dieu à travers le fait nouveau de l’Incarnation qui, dans la dernière Cène, va jusqu’ à désirer être mangé par nous. Comment la disgrâce de perdre la fascination de la beauté de ce don pourrait-elle nous arriver ? (n. 24)
Une formation « sérieuse » et « vitale »
La seconde piste est celle de la formation : « Nous avoNs besoIN d’une formation liturgique sérieuse et vitale » (n. 31). Et dans cette phrase, il faut souligner les adjectifs qui viennent qualifier ce projet de formation.
« Sérieux » s’oppose au dilettantisme si fréquent dans une société du zapping. La formation liturgique requiert un effort appuyé sur des travaux de qualité. Elle est aux antipodes des slogans et des idées aussi subjectives que non fondées. Sur ce plan, il faut souligner l’importance des publications 11 et des revues 12 en ce domaine : bien des outils sont ignorés et en premier lieu les documents fondamentaux que sont les préliminaires des livres liturgiques (Présentation générale du Missel romain en particulier).
Certes les options des auteurs sont diverses et même parfois opposées. Et cette diversité d’opinions n’est pas récente car depuis la modernité, la liturgie est un lieu de débat permanent. Pour se limiter à la France, il suffit d’évoquer les conflits du XVIIe et du XVIIIe s. à propos de la révision des livres liturgiques diocésains ou encore ceux du XIXe autour de l’adoption des livres romains 13. Devant un véritable maquis d’options, se former en liturgie requiert donc d’acquérir des boussoles pour se repérer afin de ne pas rester prisonnier de la confusion des opinions. En même temps, une forma- tion sérieuse implique d’exercer à plusieurs un vrai discernement.
Par l’adjectif « vital », la Lettre apporte une qualification précieuse à la formation liturgique et sur ce point, on peut parler d’une marque spécifique du pape François. C’est en effet dans la lettre apostolique Gaudete et exsultate, publiée le 19 mars 2018 qu’il a développé un véritable traité de vie spirituelle pour notre temps. Dans ce document de grande portée pour la relation entre liturgie et vie spirituelle, le pape François refuse en effet de traiter la spiritualité comme une chose à part de la vie (tout court). Il développe au contraire un propos reposant sur l’unité profonde entre les Saintes Écritures, la théologie, la liturgie, la morale et la vie spirituelle. La question est clairement décisive aujourd’hui à l’heure des révélations concernant des abus (non seulement sexuels, mais aussi de conscience et de pouvoir).
Ses propos invitent à ne pas enfermer la liturgie dans une quête de performance rituelle mais de la garder ouverte sur la mission et la vie de charité. Comme la tradition de l’Église l’enseigne en effet, on ne peut séparer les trois grands piliers de la vie chrétienne : la martyria (l’annonce de l’Évangile et le témoignage), la diakonia (le service et notamment celui des pauvres et des petits), et la leiturgeia, le culte rendu à Dieu mais aussi et d’abord, l’action où se renouvelle sans cesse l’alliance avec Dieu dont le baptême, les sacrements de l’Initiation chrétienne sont le fondement14. Dans un monde qui tend à exalter les capacités humaines et à considérer la liturgie comme production d’effets à caractère sacré, la liturgie peut devenir une évasion, si elle n’est pas reliée, et même vérifiée, par l’Évangile du Christ mort, ressuscité et glorifié. Et c’est pour cette raison d’ailleurs que la vie liturgique est une nécessité : elle offre le chemin de l’Esprit en nous sans lequel le témoignage se perd en propagande et la charité en activisme 15.
Pour le pape François, parler de « formation vitale », c’est en réalité viser une expérience spirituelle dans la liturgie. Dire que nous sommes formés « par la liturgie » signifie en effet que nous sommes appelés à nous laisser toucher en profondeur par l’action. Celle-ci n’est pas une prestation que nous avons à évaluer de l’extérieur comme on évalue un spectacle, mais un chemin de conversion au Dieu de Jésus-Christ.
Sur cette base, on peut comprendre que l’un des axes majeurs de sa réflexion sur la « question décisive de la formation » repose sur la prise en compte de deux aspects. Tout en se référant au grand théologien allemand Romano Guardini, dont l’ouvrage L’esprit de la liturgie publié en 1918, demeure un livre fondamental pour aujourd’hui 16, Desiderio desideravi distingue la formation « pour» la liturgie (on peut dire aussi formation « à » : il s’agit alors d’apprendre à connaître la liturgie) et la formation « par» la liturgie (se lais- ser former par la vie liturgique elle-même). Et le pape précise que si la première, à savoir la formation « pour », est « fonctionnelle », la seconde, quant à elle est à ses yeux « essentielle » (n. 34).
C’est, insiste le pape, la liturgie qui forme les fidèles, qui forme en eux l’être chrétien. Il conviendrait sans doute de développer cet aspect tant il risque d’être effacé aujourd’hui. La priorité accordée à une recherche d’ambiance et de participation pensée à partir d’un souci premier de « faire quelque chose », conduit en effet à faire passer au second plan cet aspect que le pape qualifie d’essentiel. Les fidèles sont « faits chrétiens » par la liturgie elle-même. Cette réalité se manifeste avant tout dans les sacrements de l’Initiation chrétienne comme le renouveau du catéchuménat des adultes peut aider à le comprendre. Mais on peut dire que c’est en disant ensemble « Notre Père » que les fidèles s’incorporent au Fils de Dieu qui prie le Père des cieux. C’est en disant ensemble « Je crois » que les fidèles deviennent des confesseurs de la foi devant et pour le monde. C’est à l’invitation du prêtre qui préside la célébration eucharistique, et en acclamant « le mystère de la foi » (chant de l’anamnèse) que les fidèles confessent la gloire du ressuscité. C’est encore, comme le soulignait saint Augustin dans un sermon célèbre, en répondant « amen » lors de la communion qu’ils ratifient leur vocation de membres du corps du Christ.
Les conséquences d’une telle prise de conscience pourraient être nombreuses. Mais parce que la liturgie forme les chrétiens, elle requiert attention et respect, et surtout une juste distance qui refuse de l’instrumentaliser au service d’une cause, fût-ce une cause tout à fait légitime. Les critères avec lesquels on juge habituellement l’expérience liturgique sont largement subjectifs : le caractère « joyeux » de l’ambiance, la « beauté» des chants, ou encore la « qualité » des paroles. De plus, la propension à évaluer les célébrations en fonction du nombre de participants, un aspect que l’on ne peut certes pas oublier, risque de faire confondre réussite humaine et pertinence évangélique. Et surtout, on oublie le plus souvent qu’il s’agit d’une expérience collective et que ce qui est vrai pour tel participant ne l’est pas pour d’autres. Il est donc très difficile d’évaluer une célébration. Plus encore, on oublie qu’en définitive, c’est la Parole de Dieu que la liturgie fait retentir (et ceci de multiples manières, y compris dans les oraisons, la prière eucharistique ou les chants) et c’est cette Parole qui forme l’être chrétien.
Conclusion
Dans cet article, la grande richesse de ce document pontifical n’est certes pas abordée dans tous ses aspects Mais on peut espérer que ces réflexions invitent à lire et méditer un texte qui non seulement peut modifier des approches trop enfermées par les polémiques, mais qui peut surtout inciter fortement à la mise en œuvre d’un grand chantier en vue de la formation de tous, et ceci d’abord dans les paroisses en s’appuyant sur les ressources des services diocésains.
Car à travers ce texte, la visée profonde du pape François est de rappeler à l’Église que la formation liturgique est pour tous les baptisés et pas seulement pour certaines catégories (notamment les prêtres ou les religieux) censés être des spécialistes. Un tel propos sur la formation rejoint en pro- fondeur sa vive critique à l’égard de la tendance néo-gnostique du monde contemporain qui pense « sans Dieu et sans chair», et qui, dès lors, tombe si souvent dans l’idolâtrie :
Grâce à Dieu, tout au long de l’ histoire de l’Église, il a toujours été très clair que la perfection des personnes se mesure par leur degré de charité et non par la quantité des données et des connaissances qu’elles accumulent. Les « gnostiques » font une confusion sur ce point et jugent les autres par leur capacité à comprendre la profondeur de certaines doctrines. Ils conçoivent un esprit sans incarnation, incapable de toucher la chair souffrante du Christ dans les autres, corseté dans une encyclopédie d’abstractions. En désincarnant le mystère, ils préfèrent finalement « un Dieu sans Christ, un Christ sans Église, une Église sans peuple ».
— Gaudete et exsultate, n. 37
En définitive, l’invitation à conjuguer inséparablement formation « pour » et formation « par» la liturgie manifeste combien l’attention (et non le juge- ment) devrait être l’attitude première à cultiver. Mais il s’agit de se rendre attentif à un mystère invisible qui se donne à percevoir à travers des signes visibles. Dans un monde de l’hyper-communication (où cependant la relation vraie est si fragile et même si difficile) ceci invite donc à se tenir à l’écart des volontés de mettre la main sur la liturgie en vue de transmettre un message, de susciter une adhésion ou de cultiver des convictions. Car il s’agit avant tout de communier à cette vie divine qui nous est communiquée par la célébration des mystères.
- Pape François, Lettre apostolique Desiderio Desideravi, 29 juin 2022 ; nous utilisons la version en ligne disponible sur le site du Vatican.
-
Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, Instruction Redemptionis Sacramentum sur certaines choses à observer et à éviter concernant la très sainte Eucharistie, 23 avril 2004 ; Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, Liturgiam authenticam, Cinquième instruction pour la correcte application de la Constitution sur la Sainte Liturgie du concile Vatican II (Sacrosanctum Concilium, art. 36), 28 mars 2001 ; en privilégiant une stricte fidélité à l’édition latine du Missel romain, la publication en 2021 de la nouvelle traduction francophone du Missel romain est tributaire de la principes de Liturgiam authenticam, alors que la traduction de 1970 avait été établie sur d’autres bases.
-
Pape François, Lettre sur le rôle de la littérature dans la formation, 17 juillet 2024 : ce texte constitue à nos yeux le pendant et le complément de la lettre Desiderio desideravi ; bien loin de se limiter à un propos sur la formation des futurs prêtres, il s’agit d’une réflexion fondamentale sur la culture contemporaine ; à propos de ce texte, voir William Marx, professeur au Collège de France : « Les paroles du pape François sur la littérature, qui vont contre la tradition de censure de l’Église, sont révolutionnaires », tribune, in Le Monde, 23 août 2024.
-
Document Aparecida, mai 2007, n. 263, en ligne sur le site du CELAM.
-
Pie X, Motu proprio Abhinc duos annos, 23 octobre 1913, AAS, n. 5, 1913, p. 449-451 : « Il faudra un grand nombre d’années avant que cette sorte d’édifice liturgique, composé avec un soin intelligent par l’Épouse du Christ pour exprimer sa piété et sa foi, apparaisse nettoyé de la crasse du temps, de nouveau resplendissant de dignité et de belle ordonnance » ; Pie X a d’ailleurs lui-même engagé une importante réforme du bréviaire : cf. Constitution apostolique Divino afflatu sur la nouvelle disposition du Psautier dans le Bréviaire romain, 1er novembre 1911.
-
Sur ce grand chantier se sont illustrés un grand nombre de spécialistes notamment J.-A. Jungmann, sj., B. Botte, osb, P.-M. Gy, op, Mgr A. G. Martimort.
-
Dans sa version francophone, ce texte essentiel de Paul VI sur la réforme liturgique ne figure pas sur le site du Vatican ; il est accessible en ligne sur le site de Nicolas Senèze (La Croix) : « La crise intégriste », https://lacriseintegriste. typepad.fr/weblog/1969/11/audience-générale-de-paul-vi.html (consulté le 7 septembre 2024).
-
Jean-Paul II, Lettre apostolique Vicesimus quintus annus pour le 25e anniversaire de la Constitution conciliaire sur la liturgie, 4 décembre 1988, n. 4.
-
Ce document adressé au pape Paul VI sous le nom des cardinaux Ottaviani et Bacci demeure le socle fondamental de la contestation des institutions liturgiques issues du concile Vatican II. Il énonce : « le Novus Ordo Missæ, […] s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la XXe session du concile de Trente, lequel, en fixant définitivement les ‘‘canons’’ du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l’intégrité du Mystère. »
-
« Sans beauté, sans éclat », HX121/HLH121, abbaye de Belloc, Musique Urteaga, Sodec.
-
Voir notamment les collections « Célébrer » du Service national de la pastorale liturgique et sacramentelle (SNPLS, Conférence des évêques de France, éditeur : Desclée/Mame), « Guides célébrer » (éditions du Cerf).
-
Parmi d’autres, en France ou à l’étranger, on peut citer notamment la revue La Maison-Dieu (fondée en 1945, éditions du Cerf) ; d’autres revues destinées à un large public et diffusant les textes liturgiques, apportent aussi des éléments de formation : c’est le cas par exemple Magnificat (Mame) ou Prions en Église (Bayard) ; de même le site liturgie.catholique.fr (SNPLS) comporte de multiples ressources tandis que l’association Sacrosanctum Concilium a développé un site intitulé ressources liturgiques, où l’on trouve en particulier beaucoup d’articles anciens de la revue La Maison-Dieu.
-
Sur ce dossier qui fut l’occasion de grandes polémiques et dont le protagoniste principal fut Dom Guéranger (1805-1875) abbé de Solesmes, cf. Vincent Petit, Église et nation, La question liturgique en France au xixe siècle, « Collection Histoire », Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2010.
-
Cf. Conférence des évêques de France, Lettre aux Catholiques de France sur la proposition de la foi, 1996, coll. « Documents d’Église », Cerf, Paris, 1997 : dans sa troisième partie, ce texte déjà ancien mais qui demeure de grand intérêt pour éclairer la situation actuelle, est structuré par la triade tout en plaçant la liturgie comme premier lieu de la proposition de la foi.
-
Cf. Ibid., p. 91 : « L’Église est détentrice d’un message qu’elle a mission d’annoncer (marturia). Elle a aussi pour mission de servir la vie des hommes (diaconia). Il n’en reste pas moins vrai que cette transmission du message et ce service de l’humanité culminent dans la célébration liturgique (leitourgeia), au cours de laquelle la communauté reçoit la Parole de son Seigneur et prie pour le salut du monde. C’est la raison pour laquelle nous invitons à prendre en compte en premier lieu cette dimension liturgique et sacramentelle de la vie de l’Église. Nous n’avons aucunement l’intention de remettre en cause les dimensions de confession et de service qui avaient besoin d’être revalorisées pour que la vie de l’Église ne soit pas réduite au “culte”. Mais, si la célébration sacramentelle est véritablement le lieu dont tout part et où tout est appelé à revenir, n’est-ce pas elle qui doit donner leur pleine portée théologale aussi bien à l’engagement dans le monde qu’à l’annonce de la foi ? N’y a-t-il pas en effet un risque réel qu’en se détachant de la vie liturgique et sacramentelle, l’annonce du message se transforme en propagande, que l’engagement des chrétiens perde sa saveur propre et que la prière dégénère en évasion ? Mais, s’il importe que la liturgie soit au centre de la vie chrétienne, il importe tout autant de ne pas en faire le tout, car elle y perdrait sa substance. C’est pourquoi, même si nous en parlons en premier lieu, nous ne manquerons pas de la situer par rapport aux deux autres modalités essentielles de la vie ecclésiale. »
-
Romano Guardini, « Vom Geist der Liturgie », Fribourg en Brisgau, Herder, in Ecclesia Orans 1, 1918 ; tr. fr. L’esprit de la liturgie, trad. et intr. de Robert d’Harcourt, Plon, s.d., Paris, 1929 (rééd. L’esprit de la liturgie, Parole et Silence, Paris, 2007).
F. Patrick Prétot,
osb Institut supérieur de liturgie, Institut catholique de Paris.
Notre hôte méconnu : le sensus fidelium
Le Sensus Fidei, explique Bernard Sesboüé, est «Un instinct, Un tact éminemment chrétien, qui conduit à toute vraie doctrine 1". Ce sensus fidei est donc celui de tout vrai chrétien à titre personnel. Lorsqu’il est exprimé de manière générale sur un point donné par l’ensemble des fidèles, il devient alors le sensus fidelium, ou même, le consensus fidelium 2. »
Dans cet article, nous voudrions faire davantage connaissance avec notre hôte méconnu, le sensus fidelium, montrer qu’il s’agit en fait d’une donnée traditionnelle, notoirement développée par Yves Congar, remise à l’honneur par le concile du Vatican II et encore approfondie après le concile. En conclusion, nous reviendrons sur une difficulté rencontrée.
Une donnée traditionnelle
Le Sensus Fidei est le fait « d’un peuple sacerdotal (1 P 2:9), QUI a le sens du Christ (1 Co 2:16), les yeux du cœur (Ep 1:18), l’esprit de vérité (Jn 14:17 ; 16:3) et l’intelligence spirituelle (Col 1:9) 3. » Ce peuple possède une onction venue du Saint-Esprit et il connaît la vérité (1 Jn 2:20 et 27).
Pour les Pères de l’Église, le sensus fidelium plaide en faveur de la foi véritable : pour eux, la foi de toutes les Églises ne peut tomber dans l’erreur (Tertullien, Grégoire de Nazianze, Basile de Césarée, Jérôme), et ils font appel à la foi des fidèles pour justifier une doctrine controversée ou telle pratique ecclésiale (Épiphane, Nicéphore, Augustin, Vincent de Lérins – « Il faut veiller grandement à tenir ce qui a été cru partout, toujours, par tous 4 » –, Cassien). Et lors de la crise arienne, c’est le peuple qui maintient la foi, alors que le magistère épiscopal défaille…
Au Moyen Âge, pour Thomas d’Aquin, il existe une connaturalité du croyant avec les choses de la foi, connaturalité qui est un don du Saint- Esprit: « Avoir un jugement droit au sujet (des choses divines) selon une certaine connaturalité avec elles-mêmes relève de la sagesse selon qu’elle est un don de l’Esprit saint 5 » ; mais il s’agit probablement davantage du sensus fidei que du sensus fidelium. Au xvie siècle, Melchior Cano considère que l’autorité de l’Église catholique qui ne peut errer dans la foi constitue un lieu théologique, l’Église étant pour lui l’ensemble des fidèles, y compris les pasteurs :
« Si quelque chose est maintenant approuvé dans l’Église par l’accord commun des fidèles, ce que cependant un pouvoir humain n’aurait pu réaliser, cela provient nécessairement de la tradition des apôtres 6. » Depuis Cano, Robert Bellarmin et Francisco Suarez, cette doctrine se retrouve chez les maîtres dominicains et jésuites, ainsi qu’à la Sorbonne: pour plusieurs d’entre eux, l’infaillibilité du magistère enseignant se fonde sur celle du peuple croyant; réciproque- ment, les fidèles doivent obéir à l’enseignement de foi de leurs pasteurs. Au XIXe siècle, pour John Henry Newman et Matthias Scheeben, l’indéfectibi- lité de la doctrine de foi se fonde sur l’ensemble des croyants.
Depuis le concile de Trente (1545-1563) jusqu’aux définitions de l’Immaculée Conception (1854) et de l’Assomption (1950), le magistère en appelle à l’universus Ecclesiae sensus comme témoin de la foi véritable ; mais en même temps, il valorise toujours davantage sa compétence propre et l’obéissance à son autorité !
La contribution pionnière d’Yves Congar
En 1953, Yves Congar publie Jalons pour une théologIe du laïcat. Le sixième chapitre de l’ouvrage aborde la fonction prophétique des laïcs dans l’Église. Les fidèles, écrit-il, jouent un rôle dans la conservation et le développement du dogme, en vertu du sensus fidelium : celui-ci, « puissance d’adhésion et de discernement dans le corps des fidèles, est aussi et conjointement un sens de l’unité et de la communion qui comporte à titre essentiel une inclination obéissante à l’égard de l’autorité apostolique vivant dans le corps des évêques 7. » Les laïcs ne sont donc pas réduits à la passivité : la foi est active et vivante et, en l’exerçant, ils apportent au trésor doctrinal de l’Église ; mais leur part est de l’ordre de la vie, faite de tout ce qui procède d’une foi intériorisée : « C’est en vivant pleinement leur condition chrétienne chacun selon sa vocation, c’est-à- dire conformément au vouloir de Dieu, que les fidèles gardent la tradition, mais aussi la développent, réagissent d’instinct à ce qui la blesse et, ainsi, enseignent les hommes, l’Église, et la hiérarchie elle-même 8. »
Une remise à l’honneur à Vatican II
Un texte important de la constitution dogmatique sur l’églIse du concile du Vatican II aborde le sensus fidei : « La collectivité des fidèles, ayant l’onction qui vient du Saint (cf. 1 Jn 2:20 et 27), ne peut se tromper dans la foi ; ce don particulier qu’elle possède, elle le manifeste par le moyen du sens surnaturel de la foi qui est celui du peuple tout entier, lorsque, "des évêques jusqu’aux derniers des fidèles laïcs 9", elle apporte aux vérités concernant la foi et les mœurs un consentement universel. Grâce en effet à ce sens de la foi qui est éveillé et soutenu par l’Esprit de vérité, et sous la conduite du magistère sacré, qui permet, si on lui obéit fidèlement, de recevoir non plus une parole humaine, mais véritablement la parole de Dieu (cf. 1 Th 2:13), le peuple de Dieu s’attache indéfectiblement à la foi transmise aux saints une fois pour toutes (cf. Jude 3), il y pénètre plus profondément en l’interprétant comme il faut et dans sa vie la met plus parfaitement en œuvre 10. »
Ce texte se trouve au chapitre 2 de la Constitution, consacré au Peuple de Dieu dans son ensemble, avant que ne soient distingués hiérarchie (cha- pitre 3) et laïcat (chapitre 4). Le peuple de Dieu est donc envisagé dans sa totalité. Le sensus fidei appartient à sa fonction prophétique, elle-même liée à l’exercice du sacerdoce commun. Cette totalité des fidèles ne peut faillir dans la foi : telle est l’expression première et fondamentale du charisme de l’infaillibilité de l’Église. Ce charisme se vit sous la conduite du magistère.
Le mouvement doctrinal de l’infaillibilité va donc de la totalité de l’Église à ses ministres : le Concile le souligne davantage que celui du Vatican I, et l’intègre dans une ecclésiologie du peuple de Dieu. Le sensus fidelium est actif : le peuple ne cesse d’actualiser la doctrine et de lui donner un visage concret, son action est témoignage. Une circulation active s’exerce donc entre le magistère et le sensus fidelium. Et notons que le rôle du peuple de Dieu est identique dans les deux domaines de la foi et des mœurs.
En somme, ce texte souligne la dimension communautaire de l’Église, même si celle-ci est structurée ministériellement: le témoignage des croyants n’est pas une fonction magistérielle, mais il fait autorité en matière de foi et de mœurs.
Après le concile
Après le concile, le sensUs fIDelIUm fait encore l’objet d’approfon- dissements. Ainsi en 2014, la Commission théologique internationale pu- blie un document sur Le sensus fidei dans la vie de l’Église, qui se demande ce qu’il en est de « l’identification du sensus fidei authentique dans des situations de controverse, lorsque par exemple il existe des tensions entre l’enseignement du magistère et des points de vue qui prétendent exprimer le sensus fidei 11 ». Le document considère d’abord le sensus fidei dans l’Écriture et la Tradition de l’Église (chapitre 1). Il l’envisage ensuite dans la vie personnelle du croyant, et parle d’instinct de la foi (chapitre 2). Puis il réfléchit sur le sensus fidei fi- delium dans la vie de l’Église, et insiste sur la contribution des laïcs (chapitre 3). Il se demande enfin comment discerner les manifestations authentiques du sensus fidei, et s’attarde sur les dispositions requises pour y participer authentiquement: participer à la vie de l’Église, écouter la parole de Dieu, s’ouvrir à la raison, adhérer au magistère, être saint, humble, libre et joyeux, rechercher l’édification de l’Église (chapitre 4). Finalement, nourri par le Saint-Esprit, le sensus fidei « permet à l’Église de rendre témoignage et à ses membres d’opérer le discernement qu’ils doivent sans cesse faire, à la fois en tant qu’individus et en tant que communauté, afin de savoir quelle est la meilleure manière de vivre, agir et parler dans la fidélité au Seigneur 12. »
Le Sensus Fidelium est une donnée traditionnelle, notoirement développée par Yves Congar, remise à l’honneur par le concile du Vatican II et encore approfondie après le concile. « Le sensus fidelium, écrit Bernard Sesboüé, est un lieu théologique important pour la détermination de la foi de l’Église, si l’on tient – avec la dogmatique catholique en particulier – que la parole de Dieu et donc le message de la révélation ont été confiés à un peuple sous une forme vivante 13. » De son côté, Marcel Neusch ajoute : « Le sens de la foi doit évidemment être formé, et vérifié en Église, mais il fait de chaque chrétien un sujet actif, apte à prendre des responsabilités dans les choses de la foi 14. »
Mais revenons à la question posée par la Commission théologique internationale : que se passe-t-il quand il n’y a pas unanimité des fidèles ? « Pasteurs et théologiens, répond Joseph Famerée, les premiers selon leur autorité apostolique, les seconds selon leur autorité doctrinale, ont à exercer leur discernement du sens de la foi (même partiel) du peuple de Dieu, en se mettant à l’écoute de la Parole de Dieu, de la tradition venant des apôtres, de la raison commune, de la conscience morale des hommes de bonne volonté et des signes des temps. Ce sens de la foi de tous les baptisés, pasteurs et théologiens compris, doit être formé par l’apprentis- sage du débat en Église, l’étude et une intense vie spirituelle 15. »
- Jean-Henri Walgrave, « La consultation des fidèles selon Newman», in Concilium 200, 1985, p. 41.
- Bernard Sesboüe, Le magistère à l’ épreuve, Desclée de Brouwer, Paris, 2001, p. 95.
- Gilbert Narcisse, « Sensus fidei », in Dictionnaire critique de théologie, Presses Universitaires de France, Paris, 1998, p. 1089.
- Vincent de Lérins, Commonitorium, II, 5.
- Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa IIae, q. 1, a. 5.
- Melchior Cano, De locis theologicis, l. 3, IV
- Yves Congar, Jalons pour une théologie du laïcat, Cerf – Unam Sanctam 23, Paris, 1961, p. 400.
- Ibid., p. 406.
- Augustin, De la prédestination des saints, 14, 27 ; PL 44, 980.
- Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Église, no 12.
- Commission théologique internationale, Le sensus fidei dans la vie de l’Église, Cerf, Paris, 2014, p. 12.
- Ibid., p. 94.
- Bernard Sesboüe, op. cit., p. 95.
- Marcel Neusch, Les traces de Dieu. Éléments de théologie fondamentale, Cerf, Paris, 2004, p. 148.
- Joseph Fameree, « Sensus fidei, sensus fidelium. Histoire d’une notion théolo- gique discutée », in Recherches de Science Religieuse 2016/2 (Tome 104), p. 185.
Michel Castro
Lille
Ad perpetuam rei memoriam - En souvenir perpétuel - Benoît XV
Selon l’exemple des Pontifes Romains nos prédécesseurs, nous nous sommes engagés à faire croître et à enrichir d’honneurs particuliers, de privilèges et de grâces spirituelles, selon les temps et les circonstances, les pieuses unions instituées pour exercer des œuvres de piété et de charité, de quoi la religion chrétienne reçoit d’abondants fruits spirituels.
Nous savons bien que mérite d’être comptée parmi celles-ci l’Union Apostolique du Clergé, qui porte le nom du Sacré-Cœur de Jésus. Cette Société, en effet, fondée pour la première fois en France en 1862 avec l’objectif précieux de confirmer et sauvegarder l’unité du clergé, se propose à tous ses membres, au travers des devoirs de charité, avec une manière d’être uniforme; en sorte que, dispersés dans le monde chrétien, ils se sentent liés par un lien d’amour fraternel, avec le consentement, ou mieux la faveur de l’Ordinaire du lieu.
En à peine soixante ans, avec la faveur de Dieu, elle s’est tellement accrue qu’à présent elle est présente dans de nombreux diocèse du monde, en Europe, en Amérique du Nord et du Sud, en Australie, en Chine, dans les Indes orientales et d’autres régions lointaines, où elle fleurit merveilleusement et porte de très abondants fruits de piété et de sainteté.
Les Pontifes Romains nos prédécesseurs, Pie IX, Léon XIII et, récemment, Pie X, n’ont pas hésité à louer et à recommander à plusieurs reprises ladite Union par des documents publics, ni à la favoriser et à l’enrichir de nombreuses indulgences et privilèges.
Aujourd’hui, le Supérieur général actuel de cette Union, notre cher fils Louis Lamerand, désirant promouvoir davantage l’Association Mère et ses filiales et voulant leur donner une direction selon les lois du Code de Droit Canonique promulgué depuis peu, nous a adressé une supplique afin que, suppléant, si cela est nécessaire, aux défauts qui se seraient introduits jusqu’à ce jour dans l’érection et l’association des filiales, nous daignons ériger ladite Association au rang de Primaria pour tout le monde catholique; et nous, nous souvenant des mérites particuliers envers la religion avec lesquels l’Union est recommandée, nous croyons très volontiers opportun d’agréer ces désirs. Les choses étant ainsi, après avis de NN. EE. les Cardinaux de la Congrégation pour l’Interprétation des Décrets du Concile de Trente,
par notre autorité,
étant corrigés tous les défauts éventuels apparus jusqu’à ce jour
dans l’érection, les agrégations et les adhésions,
nous constituons
l’Union Apostolique des Prêtres Diocésains
dont le siège est dans la chapelle S. Denis de la Basilique du Sacré-Cœur de Jésus, sur le Mont des Martyrs (Montmartre) de Paris; ainsi donc par notre Autorité Apostolique, par la présente lettre et à perpétuité, nous l’établissons comme Primaria pour tout le monde catholique en sorte qu’elle soit réellement et puisse être reconnue comme Union Mère et personne juridique, selon les normes du Droit, avec les droits afférents et les privilèges propres.
De plus, par notre Autorité Apostolique, au travers de la présente lettre, nous concédons au Supérieur de cette Union érigée par Nous comme Mère ou Primaria et aux responsables présents et à venir la faculté d’agréger légitimement toute autre association du même nom et du même genre, déjà érigée dans le monde ou qui serait constituée dans l’avenir, pourvu que soit observée la forme établie par la Constitution de notre prédécesseur Clément VII et les autres constitutions apostoliques publiées précédemment, et de leur communiquer licitement toutes les indulgences et grâces spirituelles concédées par le Siège apostolique à ladite Union Primaria, pour qu’elles soient en mesure de les communiquer aux autres.
En outre, le Supérieur général de la même Union nous ayant prié humblement de bien vouloir modifier quelque peu les indulgences concédées par notre prédécesseur Pie X par Lettre Apostolique du 28 décembre 1903 “sub Anulo Piascatoris” (sous l’anneau du pêcheur), en y ajoutant quelques privilèges et grâces spirituelles, Nous, après avoir entendu le Cardinal Grand Pénitencier, décrétons ce qui suit et, par la miséricorde de Dieu Tout-puissant et l’autorité des Saints Apôtres Pierre et Paul, concédons l’Indulgence Plénière à tous et à chacun des prêtres qui entreront à l’avenir dans ladite Union, dès le premier jour de leur adhésion à celle-ci, et de la même manière au jour où, après l’apprentissage, ils feront profession et, en même temps, sincèrement repentis et confessés, célébreront le Saint Sacrifice de la Messe, puis par ailleurs laisseront monter vers Dieu des prières pour la paix entre les Princes chrétiens, pour l’extirpation de l’hérésie, pour la conversion des pécheurs et l’exaltation de la Sainte Mère Eglise; de même Nous concédons, par la miséricorde du Seigneur, l’Indulgence plénière et la rémission de tous leurs péchés aux prêtres déjà adhérents de ladite Union comme à ceux qui le seront à l’avenir qui, participant chaque année à l’Assemblée générale nationale ou diocésaine prévue dans les Statuts, réciteront l’Acte de consécration au Sacré-Cœur de Jésus: Domine Jesu Redemptor avec l’Acte de consécration à la Vierge Marie: A Te uno animo et accompliront les autres exercices de piété prescrits.
Chaque fois que, dans les rencontres de ladite Union, qui se font chaque mois, les prêtres inscrits répéteront les mêmes actes avec un cœur au moins contrit, Nous leur concédons [une indulgence de] sept années et autant de quarantaines.
De plus, chaque fois que, toujours avec un cœur contrit, ils réciteront l’Acte de consécration à la Vierge, Nous leur accordons [une indulgence de] trente jours, selon la coutume de l’Eglise.
De plus, en la fête du Sacré Cœur de Jésus, titulaire de ladite Union, Nous concédons l’Indulgence plénière aux prêtres membres de celle-ci qui accompliront les œuvres de charité prescrites; et, selon notre bon plaisir, nous commuons l’Indulgence partielle de cent jours, concédée par Pie X aux mêmes membres par la Lettre Apostolique susmentionnée, en Indulgence plénière tant pour soi que pour les autres qui accompliront les mêmes œuvres pieuses, pourvu qu’ils accomplissent les œuvres de piété prescrites pour gagner les indulgences plénières.
Nous voulons également que le privilège de l’autel personnel concédé par notre prédécesseur pour trois fois par semaines soit étendu aux membres à quatre jours par semaine.
De plus, nous accordons aux membres présents et à venir de l’Union Apostolique d’adjoindre aux crucifix l’indulgence dite “Toties quoties” et aux Rosaires les indulgences des Pères Dominicains (à l’exclusion des indulgences propres aux fidèles inscrits à la Fraternité du Rosaire), tout comme nous prorogeons à perpétuité l’application aux Rosaires des indulgences des Pères de la Sainte Croix.
Enfin, le même Supérieur général nous ayant demandé pour tous les prêtres de l’Union Apostolique la faculté de bénir et d’imposer sous une formule unique les cinq scapulaires, et en accédant aux requêtes reçues du Cardinal Préfet de la Sacré Congrégation des Rites, Nous concédons volontiers aux prêtres actuels et futurs de ladite Union Apostolique, pourvu qu’ils soient régulièrement munis de cette faculté, le pouvoir de bénir et imposer les cinq scapulaires sous une unique formule; Nous leur donnons aussi la faculté, en cas de grand concours de fidèles ou de pèlerinages ou de missions, de bénir ensemble ces scapulaires, avec dispense de consigner les noms de chaque inscrit, comme cela est prévu pour un scapulaire.
De plus, nous décidons que les membres susdits, s’ils le veulent, pourront appliquer les indulgences plénières et partielles pour l’expiation des fautes et des peines des défunts.
Nous décrétons que les présentes Lettres devront rester et demeurer fermes, valides et efficaces et obtenir leurs effets propres pleinement et intégralement, pour qu’elles soient un soutien entier à ladite Pieuse Union aujourd’hui et à l’avenir selon comment elle a été érigée par Nous; ainsi doit-on en juger, et dès à présent serait nulle et non avenue toute chose contraire, même effectuée avec autorité, sciemment ou non.
Nous décrétons donc que, pour le reste, soient scrupuleusement observées les conditions ajoutées dans la susdite Lettre de notre prédécesseur.
De plus, Nous voulons que soit accordée aux copies de cette Lettre, c’est-à-dire aux exemplaires, même imprimés, souscrits par quelque notaire public et munis du sceau de quelque personne ecclésiastique autorisée par sa dignité ou son office, la même foi qui serait accordée à la présente, si elle était exhibée et montrée. Nonobstant toute chose contraire.
Donné à Rome, près de Saint Pierre, avec le sceau de l’Anneau du Pêcheur, le 17 avril 1921, l’an sept de notre pontificat.
P. card. Gasparri
Secrétaire d’Etat